Chapitre 4 - Yuukei Yesterday II (partie 2)
Vers midi, quand la matinée se termina, l’école se fit envahir d’odeurs alléchantes.
En voyant que c’était l’heure où les stands de nourriture ou de boissons, comme les cafés ou les stands de cuisine, étaient les plus actifs, midi était l’heure de repos parfaite pour les stands de divertissement et d’attraction comme le nôtre.
En me retirant de la salle sombre, j’exposai un petit écriteau qui disait “Pause Dej’ jusqu’à 1H” sur l’extérieur de la porte pour qu’Haruka et moi allions manger ensemble.
J’avais joué contre une douzaine d’autres personnes ce matin-là, et j’avais été bénie, en ayant eu des gens normaux et honnêtes, après cette fille et ce garçon. Et d’ailleurs, après ces deux-là, tout est allé comme sur des roulettes.
“Je me demandais vraiment si la première heure allait bien se passer….Et au début, j’étais quasiment sûr que tu prenais que des gens bizarres pour jouer.”
“Hein!? M-Mais n’importe quoi! J’ai juste voulu ouvrir la porte à ceux qui voulaient venir …..”
L’espace qui se trouvait devant l’entrée de l’établissement était maintenant rempli de stands pour manger, qui étaient faits avec des bâches et du carton.
Des brochettes yakitori1 aux hot-dogs, en passant par les frites et les yakisoba2, toutes les affiches pleines de couleurs mettaient en appétit.
Tandis que je marchais avec Haruka, en me remémorant les évènements de ce matin, je remarquai un endroit pour manger qui me semblait assez bien, vers la droite du portail, où on pouvait s’assoir pour manger ce qu’on achetait.
“Ah, et si on allait là pour manger? On mange tout le temps en classe, donc une fois de temps en temps c’est ….. Hé oh, attends !!”
“Mn? Keshkiya?”
Avant que je puisse le réaliser, Haruka se tenait là, ses bras plein de bouffe, et avec un calamar frit, qui avait l’air d’ailleurs délicieux, dans la bouche.
“…. Non mais sérieux, tu connais le travail d’équipe? Je pensais qu’on allait juste jeter un coup d’œil ensemble….. Mais au fait, quand est-ce que t’as pu acheter tout ça!?”
Haruka mangea son calamar, par politesse.
“Ah, désolé, c’est juste que ça avait l’air tellement bon, j’ai pas pu m’en empêcher….! Ah, Takane, je vais quand même t’en passer un peu. Tiens, mange tout ce que veux!”
Dans le sac d’Haruka, il y avait un grand nombre de boîtes et de petits paquets, comme des yakisoba ou des okonomiyaki3, qui je pense, allaient devenir nos plats principaux.
“Ouh …. C’est un très bon choix. Bon, allez, posons-nous quelque part et allons manger. Y’a les chaises de derrière qui ont l’air d’être libres.”
Ayant trouvé un endroit disponible, j’avais regardé Haruka en disant ça, et j’avais aussi vu qu’il allait bientôt s’attaquer à sa nouvelle victime, un hot-dog, et il avait hoché la tête sans broncher.
La place que j’avais dégotée était à l’ombre, et après y être allés, on s’est assis. Nous avions de la chance d’avoir du beau temps, parfait pour une journée de festival.
Il faisait même un peu chaud, et beaucoup portaient des vêtements légers.
Vu qu’Haruka et moi pensions qu’on allait quand même bouger un peu, on était aussi venus en fringues d’été.
A l’instant même où nous nous sommes assis, Haruka cria ; “Je ne peux plus attendre!” et commença à sortir de la nourriture de son sac, avec une expression plus qu’heureuse.
Apparemment, la bouffe qu’il m’avait montrée tout à l’heure n’était que la partie immergée de l’iceberg, et petit à petit, il déposa cinq à six repas individuels sur la table.
“U-un sac à quatre poches ….?”
Au milieu de ce tas de nourriture qui semblait impossible à mettre dans un sac, Haruka choisit de commencer à manger une crêpe, après un bref moment d’indécision.
Moi aussi, je crevais de faim, alors je pris une sauce yakisoba(2), et je l’ai dirigée vers moi.
“Bon allez, à ta— …. Attends, mais je n’ai pas payé, si ? Combien ça a coûté tout ça?”
Je me suis sentie coupable d’être aussi gâtée, alors je sortis mon portefeuille de la poche de ma jupe.
“Ah, non, c’est bon, ne t’inquiète pas. En fait, Sensei m’a dit “Mange ce que tu veux avec ça”, puis m’a donné de l’argent, ce matin. A peu près 10,000 yen. Donc pas de souci à se faire!”
“10,000 yen!? Tant que ça!? Ah là là~. Ce prof, même s’il a été égoïste avec le budget du festival, il peut vraiment être généreux…!”
“Ah, eh bien, pendant qu’il faisait le jeu, il m’avait dit qu’il allait au pachinko4 pour se changer les idées, et il a fini par gagner beaucoup d’argent. Il a même commandé des sushis pour le dîner, ce jour-là.”
Dès que j’ai entendu ça, mon estime pour Mr. Tateyama, qui montait de plus en plus, est retombée au plus bas. Et pendant que je pensais ça, tout ce que je pouvais voir, c’était la bouffe exquise payée aux jeux d’argent, et je suis tombée dans une profonde déprime.
“Hm? Tu ne manges pas, Takane? Si c’est comme ça, alors je vais ….”
“S-Si, si ! Mais au fait, tu penses faire quoi, en mangeant autant!? Tu vas grossir comme pas possible, tu le sais ça!?”
Dès qu’il a été question des stands-restaurants au festival culturel, ce dernier en est devenu un à haute densité calorique.
Bon, pour être franche, j’avais vraiment envie de me goinfrer de poulet frit, mais même si aujourd’hui était un jour de fête, demain, ça serait un jour normal.
Et il était évident que toutes les calories que j’ingérais gaiement aujourd’hui suffisaient à apporter l’énergie nécessaire à mon corps demain.
Tandis que je réfléchissais à propos de ça, Haruka avait mangé en un temps record un hot-dog, une crêpe, une pizza-en-bâton, des frites, et une banane au chocolat. La quantité anormale était une chose, mais le regarder tout manger en était une autre ; ça me donnait mal au ventre.
“Mais ah, c’est tellement bon. Et puis, de toute façon, même si je mange beaucoup, je ne prends pas de poids~ Je n’emmène jamais de grandes quantités de nourriture à l’école, mais chez moi, je mange toujours à peu près la même quantité que maintenant.”
Pendant que j’écoutais ça, je comparai la quantité de bouffe qu’ingérait Haruka et sa morphologie, et ça me mit vraiment en rogne.
Si je faisais le moindre excès, mon corps subirait un énorme changement; c’était vraiment injuste.
“Ahh~... J’aimerais tellement avoir un corps qui n’ait jamais faim et qui n’ait pas besoin de manger…ni dormir, non plus.”
“Hein ? Mais ça serait d’un ennui... Peut-être parce que j’adore manger et dormir.”
Dit Haruka en enlevant joyeusement l’emballage d’un hamburger.
“…. T’en as une belle vie, toi.”
“Hm? Tu as dit quelque chose?”
Alors qu’il me demandait cela avec du ketchup sur sa joue, bizarrement, je trouvai assez dur de le détester. Mais, même en pensant ça, je priai intérieurement qu’il se plaigne d’avoir pris dix kilos demain.
Il était maintenant une heure et demie.
Comme convenu, on avait repris les affaires avec notre stand, mais contrairement à ce matin, il n’y avait pas un chat.
“Bizarre. C’était pas comme ça ce matin. Ah, peut-être qu’une sale rumeur se propage….?”
Je sortis ma tête de la porte pour observer l’extérieur, et je jetai un rapide coup d’œil dans le couloir. Comme d’hab’, Haruka était là, devant la salle de classe, et attendait que des personnes viennent, sauf qu’en fait, il n’y avait personne du tout.
Je commençais à me sentir vraiment angoissée quand soudain, Haruka sembla se rappeler de quelque chose, et sortit de sa poche une brochure.
“Ah, je crois savoir pourquoi, Takane.”
Le petit prospectus qu’Haruka avait dans ses mains présentait les horaires des stands de toutes les classes de l’établissement, pour le jour du festival culturel.
J’avais perdu le mien juste après qu’ils aient été distribués, mais vu que ça devenait ennuyant de demander à Haruka de me montrer le sien sans cesse, j’avais décidé de ne rien dire. Et à cause de ça, je n’avais pas la moindre idée de ce que faisaient les autres stands aujourd’hui.
“Ah, ahh, ok ….Alors, c’est à cause duquel qu’il n’y a personne?”
“Celui-là, la ‘Conférence des Délégués de Classe’, qui dure de une à deux heures dans le gymnase. Tout le monde a dû vouloir y aller.”
Sur l'extrait qu’Haruka désignait, il y avait écrit “ ‘Conférence des Délégués de Classe’ 13h-14h”. Et en plus, c’était le seul souligné et en gras, ce qui le faisait ressortir par rapport aux autres stands.
“Ah, je vois. Tss, alors les délégués aussi ils veulent se la ramener ? Ils auraient dû organiser ça plus tard, et pas au moment où tous les autres stands ouvrent ….J’imagine que ça doit pas tellement arranger les autres non plus, hein… ?”
J’aimais pas vraiment le sentiment d’assurance qui s’émanait de style graphique de l’imprimé.
Même si on avait à peine mangé tranquillement afin d’être prêts pour l’après-midi, c’était pas notre faute, si personne ne venait.
“Hm, je suis sûr que dans une demi-heure, on aura plein de participants. Alors en attendant, profitons-en pour nous reposer un peu plus.”
En repliant le papier, Haruka ouvrit la porte d’où sortait ma tête et rentra dans la salle.
“Ouais, j’imagine qu’on n’y peut rien. Ah~ Ce serait teeeellement bien que quelqu’un de pas très malin vienne~je serais vraiment à fond dans la partie….”
Alors que je faisais cette remarque, plaintive et pleine de sarcasme et que j’allais sortir ma tête de la porte, j’aperçus quelqu’un dans le couloir à gauche, près de la porte d’en face.
Même si ça avait été désert jusque-là, je pouvais voir trois hommes portant les mêmes habits s'avancer vers nous.
Ils portaient des pantalons couleur camouflage, des bandanas ainsi que des lunettes de protection, comme s’ils avaient atterri ici par hasard, alors qu’ils revenaient d’un jeu de survie.
“C-C’est quoi leur problème ….? Est-ce que c’est un genre de déguisement? Pourtant, ils ont l’air d’être des clients comme les autres, alors peut-être que c’est les vêtements qu’ils portent habituellement …?”
Mais même si cette tenue était celle qu’ils portaient tous les jours, ça en faisait un peu trop. Ca aurait été un peu plus acceptable si ça avait été un costume, parce que voir carrément des émetteurs-récepteurs sur les manches des sacs qu’ils se trimballaient sur leurs dos, ça faisait un peu bizarre.
“Tout va bien, Takane?”
“Euh, ouais …. C’est juste qu’il y a des gars un peu louches là-bas…. Tu penses qu’on devrait appeler un prof…?”
“Des gars un peu louches? A-Attends, laisse-moi voir ça”.
Avait dit Haruka, en mettant sa tête au dessus de la mienne, en observant le couloir.
“T’as vu? Ils sont un peu louches, tu trouves pas ? Je veux dire, c’est pas la meilleure tenue à porter quand on vient dans un endroit comme ça ….”
“Hm, je doute. C’est peut-être ce genre de look, tu sais ? La mode du militaire.”
Le fait qu’Haruka avait dit ‘look’ m’avait choquée. Attends, ce mec, il s’y connaissait ou….?
Si c’était le cas, alors ce que j’avais accusé d’être ‘louche’ était en fait le ‘dernier look à la mode’…Mais du coup, est-ce que ça faisait de moi celle qui était ‘démodée’ ?
“B-Beh oui, moi je le voit souvent ce genre de look….C’est populaire à… Tokyo, je crois ? Enfin, un truc du genre…”
On devait juste laisser couler. Pour l’instant, j’allais essayer de les complimenter un peu. Et puis, plus que tout, j’avais pas envie que ces gars-là aient l’air d’être plus connaisseurs en mode que moi.
“Whoah, sérieux?! Je l’ignorais complètement…. Cela ne m’étonne pas de toi, Takane!”
Le sourire rayonnant d’Haruka perça mon cœur. En y réfléchissant, il était totalement inconcevable qu’un mec qui se foutait d’être à moitié à poil s’y connaisse en mode vestimentaire.
Après avoir creusé ma tombe à l’aide de ma vanité et de mon orgueil inutiles, j’ai bafouillé un “S-Si tu le dis ….” Ce qui avait accentué mon sentiment d’infamie.
“Pardonnez-moi, mais on peut vous demander quelque chose ?”
“Hein?”
En entendant une voix inattendue, je levai ma tête et constatai que le groupe militaire de tout à l’heure se tenait devant moi.
Pendant que je m’étais mise à discuter comme une débile avec Haruka, ils s’étaient approchés si près de nous que c’en était presque effrayant.
“A-Ahh!! O-Oui, bien sûr ! Je vous écoute!”
De là où j’étais, ce groupe était assez intimidant. Même si au début, je trouvais que ces trois hommes avaient une tenue incorrecte pour un lieu scolaire, bizarrement, ils étaient maintenant six.
“Ouaaah!”
On dirait qu’Haruka n’avait pas remarqué non plus, et après avoir reculé en stupeur, il s’était caché derrière moi. Qu’il est pathétique.
“On s’excuse de vous avoir fait peur. En fait, on recherche un stand. On a entendu parler d’un célèbre ‘jeu de tir’ qui était à ce festival, accueillant des joueurs…”
“D-D’accord …. Hein!? Ah, humm, eh bien…ça doit être nous.…”
J’étais agréablement surprise de la courtoisie et de la gentillesse de ces jeunes hommes, mais j’étais aussi étonnée qu’ils cherchaient notre stand.
Les figures masculines debout devant moi commencèrent à s’agiter.
“O-ohh, c’est donc ici! E-Et d’ailleurs, l’adversaire, c’est….?”
Comme s’ils voulaient avoir une confirmation que ce stand était bien celui qu’ils cherchaient, ils m’avaient demandé ça, comme si j’étais leur officier supérieur.
“Hein? E-Euuhh …. C’est… moi…”
Ne sachant pas ce que ce groupe voulait, je m’éloignai un peu d’eux et répondis en ne laissant que mon œil, épiant à travers un trou qu’il y avait dans la porte.
Et après ça, le groupe s’est exclamé, avec enthousiasme ;
“Ohhhhhhhh!!”
Et pour une raison que j’ignorais, le jeune homme qui parlait pour les autres commença à éclater en sanglots. M-Me dites pas qu’il pleure parce que… Oh non. J’avais un très mauvais pressentiment…
“P-Pardonnez ma grossierté…. ! Cela veut donc dire que vous êtes La Danseuse Eclair -Ene-…!? C’est un tel honneur d’enfin vous—”
Il ne m’en fallait pas plus, alors je claquai la porte violemment, avec un ‘vlan’ !
Comme je l’avais deviné. C’était mes fans, tout droit venant du jeu en ligne.
D’après leur apparence, ils étaient très probablement des participants du tournoi.
Si je l’avais su plus tôt, j’aurais pu tout simplement mentir, et dire que ce n’était pas ce qu’ils recherchaient, et que ce n’était pas moi, l’adversaire ! Mon dieu, mais à quel point pouvais-je donc être aussi couillonne !?
Mais surtout, comment pouvaient-ils être au courant…..?
… Non, c’était très simple.
Le tout premier client, le bourru, a dû poster en ligne un truc du genre : “La Danseuse Eclair -Ene- tient un stand avec un jeu de tir à deux joueurs ! Les joueurs du secteur devraient y aller ! Ce vaut largement le coup !!”
C’était la seule explication possible, pour une telle fuite.
J’aurais dû mettre en garde ces gars-là quand j’en avais l’occasion.
“T-Takane… Qui étaient ces gens… ?”
“Hein ? Ah, non, t’inquiète ! Ils sont plus là !”
Même si j’avais dit ça à Haruka, qui était terrorisé, avec un sourire mal à l’aise, presque immédiatement après ça, se firent entendre des frappements assez forts et vifs, à la porte qui se trouvait derrière moi. Tout ça, accompagné de supplications du style, “Je vous en prie!! Laissez-moi jouer contre vous, rien qu’une fois!!” “S’il vous plaît!! S’il vous plaît!!”
Ahh, mais qui avait suggéré qu’on fasse un jeu de tir, bon sang ?! Ah, oui, c’était moi. Si j’avais su que ça aurait tourné comme ça, alors le café de soubrettes aurait été cent fois mieux.
A en juger par les voix de derrière la porte, qui semblaient devenir de plus en plus bruyantes, de nouveaux ‘soldats’ avaient rejoint le groupe, suite à la fuite.
“… Oh, et puis merde.”
En marmonnant ça, j’entrouvris la porte lentement et vis que les soldats étaient maintenant au moins dix. A mon apparition, les sanglots s’étaient transformés en de silencieuses réjouissances.
J’ouvris la porte en grand, et ai crié ; “Je suis Ene!! Je vais tous vous affronter, un par un, alors ceux qui souhaitent mourir, montrez-vous !!”
Derrière moi, j’entendis Haruka dire, admiratif, “Ene… Trop cool…!”, et là, je su que mes larmes signifiaient la fin de majeunesse.
……Depuis, ça faisait déjà deux heures.
L’intérieur de la pièce était bondée de public, et il y avait même des gens à l’extérieur, qui attendaient leur tour, ou qui venaient juste pour regarder.
Après avoir joué avec des joueurs experts, et en ayant, ainsi, créé la“ Nouvelle Légende Dansante,” mes pleurs de honte avait séché depuis très longtemps.
“… Elle a encore gagné!! C’est la quarante-cinquième victoire consécutive !!”
Les encouragements et les cris de joie se firent entendre une fois de plus, et pendant que mon adversaire versait des larmes d’honneur, il me fit des compliments et des flatteries, avant de se lever de sa chaise.
Avec tous ces concurrents étant des joueurs confirmés, et tout sauf des participants lambdas, il était très difficile de deviner que ce spectacle se déroulait à un stand d’un festical culturel totalement quelconque.
“Ene, ça va? C’est fini dans dix minutes, alors tiens bon!”
Accroupi à droite de ma chaise, Haruka venait de m’appeler subitement, et sans que je ne le sache pourquoi, “Ene,” and continua à me soutenir, comme un vrai mentor.
“Ouais, c’est bientôt fini… Même si c’est déjà la fin pour moi… Hahaha…”
Je me penchai en avant, mon cerveau déraillait complètement. A partir de demain, à l’école, il y aurait sûrement des rumeurs à mon propos. Peut-être que je devrais juste me balader avec une étiquette sur mon front qui dit “Ene.”
Alors que je venais de penser ça, dans un état d’auto-apaisement, même si je ne faisais pas énormément d’efforts pour que ça me calme vraiment, un tout nouveau compétiteur venait de s’asseoir sur la chaise voisine.
Jusqu’à présent, tous mes adversaires avaient été des hommes matures, à forte stature, mais là, c’était un jeune garçon, en veste rouge, et qui avait l’air d’être de la même taille du duo aux capuches de ce matin, les seconds clients.
Je m’assis sur ma chaise, saisie, et Haruka me tapota l’épaule.
“Ene… Je suis vraiment désolé de gâcher ton moment de gloire, mais je pense qu’il est l’heure de mettre fin à tes victoires à la suite. Je sais que tu pourrais peut-être être réticente face à ça, mais, tu pourrais perdre face à lui, s’il te plaît… ?”
Haruka avait dit ça d’une voix très prudente, presque prude. Mais quand est-ce qu’il va arrêter de pas saisir ce que je lui dis ? C’était pas du tout comme si je m’éclatais.
Mais ouais, c’était peut-être le bon moment pour enfin perdre.
Bon, ma fierté en prenait un coup, parce que je perdrais face à un gars plus jeune que moi, mais c’était un “contrat” qu’on avait fait bien avant le festival.
Et puis, c’était beaucoup mieux que de perdre face aux autres joueurs….
Je voulais que cet évènement soit un succès, donc je ne pouvais en aucun cas me trahir à moi-même. Et vu que c’était le dernier client, je me suis forcée à sourire, ce que je n’avais pas fait depuis un long moment.
“C’est toi, le prochain candidat, hein? Ravie de te rencontrer! Tu connais les règles, ou devrais-je te les expliquer, juste une fois ?”
J’avais réussi à parler avec une splendide ‘voix gentillette et bienveillante de grande sœur’. Si c’était un garçon de cet âge-là, alors il pourrait très bien commencer à avoir un béguin innocent pour moi. Quelle femme fatale, pécheresse et sans pudeur je faisais.
“….. Tu profites peut-être d’être la deuxième nationale, là, mais en fait, t’es vraiment pas si extraordinaire que ça. Tes jugements sont bâclés, comme tes mouvements. Juste te regarder m’irrite.”
Contrairement à ce que j’avais imaginé, le garçon à la veste venait de marmonner ça, sans même me regarder en face.
“Hein …? Oh, désolée, ta chère soeurette ne t’a pas entendu…..”
J’avais peut-être mal entendu. C’était inimaginable qu’un garçon aussi chou puisse dire ces vilains mots.
“J’ai dit, ‘T’es nulle.’ Grouille et appuie sur ‘START’. Je me fous de la difficulté.”
—Et là, j’ai senti quelque chose se briser d’un coup sec, dans ma tête. Après qu’il ait répété ce qu’il a dit, alors y’avait plus aucun doute. Il m’avait traitée de “nulle.” Un sale mioche était en train de se foutre de mon style de jeu. Mon style de jeu qui était idôlatré comme étant pareil à celui d'une “Danseuse.”
“P-Pourquoi… Tu dis que je suis nulle… Attends, t’essaies de dire que tu vas gagner là !?”
“Ben ouais. Je vais gagner. Vu comme t’es nulle.”
J’en avais eu assez. Et j’avais l’impression que les vaisseaux sanguins de ma tête allaient exploser tellement mon sang était chaud bouillant.
Mais vu qu’il était plus jeune que moi ; je pouvais pas m’acharner sur lui.
Oui, tout ce que je devais faire, c’était gagner, contre ce craignos de beau-parleur. J’allais lui enseigner personnellement comment le monde marchait, et qu’il y avait des gagnants et des perdants.
“O-oh, c’est comme ça, alors…! Je vois…! Donc en gros, tu te fous complètement de jouer contre moi, avec le mode le plus dur, c’est ça ?! … Je vais pas perdre, crois-moi!”
La manette que je tenais entre mes mains commença à faire des petits bruits de craquement, tellement je la serrais fort.
Près de moi, Haruka chuchota, “A-Attends, Takane! Tu es censée perdre!” mais cette voix ne m'atteignait plus.
C’était un match où ma fierté était en jeu.
A ce moment-là, il y avait rien à faire d’autre que de réduire en purée ce mec en veste, et défendre mon honneur.
“Très bien. Si tu gagnes, j’écouterai tout ce que tu dis. Et toi, si tu perds, tu feras quoi?”
En disant ça, il me regarda enfin. Ses yeux perçants, et d’une certaine manière, mélancholiques, me donnaient des frissons, comme s’il voyait à travers mon âme.
“… C’est pas un problème d’être ta servante et de t’appeler ‘Maître’! Mais…je ne perdrai pas!”
“Ah bon, vraiment. Bon ben c’est officiel, t’es vraiment emmerdante. Allez, bouge-toi.”
Le gars m’avait dit ça avant de regarder une nouvelle fois l’écran.
Je n’avais pas besoin de me regarder dans un miroir, pour savoir que mon visage devait être complètement rouge, tellement il m’avait cherchée.
Je vais le mettre K.O ! Ce petit con, je vais vraiment le mettre K.O !
Je pris une grande inspiration, et je sélectionnai le mode ‘EXTRA’.
“Je vais t’en faire mordre les doigts, tu vas voir…!”
Quand la partie décisive débuta, les monstres-doudous firent leur apparition.
Finalement, j’avais fait ma meilleure performance de la journée. Et j’étais sûre et certaine que j’avais vraiment bien joué, et que j’avais été imperturbable.
Mais lorsque les résultats s’affichèrent, le mot “PERDANT”, prouvant mon échec, était écrit sur mon écran.
Et sur celui du garçon, on pouvait y voir le mot “GAGANT” en doré, et comme si cela ne suffisait pas, en dessous…y était inscrit un “PARFAIT!!” rouge pétant.
“Non… C’est pas vrai ……”
J’étais incapable d’accepter ma défaite. Mon adversaire me dit alors, tout simplement, “Vu que ça serait sûrement assez relou, oublie la promesse que t’as faite tout à l’heure.’ avant de sortir de la pièce.
Haruka se leva brusquement afin d’aller lui donner le poisson fossilisé, qui faisait office de lot.
“Ah… Il faut que j’aille lui donner ça ! … Ene était cool du début jusqu’à la fin. Bravo.”
Je ne trouvai pas non plus les mots pour répondre à Haruka.
Un plus jeune que moi m’avait humiliée, et même si j’avais été terriblement irritée, j’avais quand même perdu.
Une discussion avait commencé à propos de ce qui venait de se passer ; “Elle a fait exprès!” “Pourtant, vu ses points, c’est le plus grand score qu’elle a fait aujourd’hui ! Du coup, ça veut dire qu’Ene a perdu !?” Mais cela ne m’importait pas le moins du monde.
C’était tellement frustrant. Je n’arrivais pas à ressentir autre chose, et même longtemps après, je ne pouvais pas lâcher ma manette.
“E-Euh …. Je suis vraiment désolée que mon ami ait dit des choses aussi méchantes….”
Une fille aux cheveux mi-longs m’avait adressé la parole de nulle part.
Même s'il faisait assez chaud dehors, elle portait une écharpe rouge, ce qui lui donnait un air frêle et fragile.
“… Tu es… une amie de ce gars?”
Je posai ma manette sur la table, tout en lui posant la question. Elle répondit, timidement, “… On peut dire ça.”
Attends, ça voulait dire que le mec à la veste rouge, avait ramené de main ferme une fille au festival culturel !? Une vive fureur commençait à m’envahir, mais vu à quel point la jeune fille semblait sincèrement désolée, ma colère s’atténua.
“Ah, d’accord … Bah, c’est pas grave. Il est vraiment doué, et puis, ça faisait un bail que je m’étais pas autant amusée. Par contre, faudrait que tu lui dises de se calmer, tu vois!? Il n’arrivera jamais à rien, dans notre monde, avec cette attitude.
Lui ai-je dit, exaspérée, avant qu’elle ne soupire, un sourire forcé sur ses lèvres.
“Oui… c’est vrai. Il n’est pas très à l’aise avec les gens, enfin, c’est plutôt que parfois, il peut vraiment être égocentrique… Mais je vais essayer de le raisonner. Je suis vraiment super super désolée…”
“N-non, pas beosin de t’excuser autant… Eh puis, tu sais à cet âge, il doit traverser pas mal de trucs. Tant que t’arrives à en discuter avec lui, alors tout ira pour le mieux.”
“Oui, je le promets. Ah, zut, il m’a devancé! Désolée, je dois partir, je dois aussi aller voir mon père …”
En me saluant de la tête, la jeune fille sortit de la salle, pressée.
Le prix maintenant attribué, les clients sont partis petit à petit, et mes fans m’ont dit au revoir, ou “Désolé du dérangement,” et bientôt, j’étais toute seule, dans mon coin.
Tout en observant les gens quitter le stand, je restai sur ma chaise, et soudain, la musique de fin du festival culturel se fit entendre ; l’horloge montrait en effet qu’il était quatre heures.
Depuis les haut-parleurs du couloir, j’entendis une annonce qui disait “Merci de votre participation, le festival est maintenant terminé. Veuillez suivre les instructions du Comité Exécutif et commencer le nettoyage.”
Au moment où j’entendis ceci, mon épuisement se fit ressentir. Vraiment, tellement de choses inimaginables étaient arrivées aujourd’hui, dont j’avais été bêtement surprise, mais une fois que tout ça avait touché sa fin, je pensais que ça avait été une chouette journée, au final.
Et puis, il serait vraiment bien que le fait que c’est moi, “Ene”, ne se fasse pas trop entendre, et qu’il s’efface peu à peu de la mémoire des gens…
En réfléchissant en cela, j’attendais qu’Haruka revienne.
Lui aussi, il avait vraiment beaucoup aidé, donc je devrais peut-être le récompenser pour ça, juste pour cette fois.
Ah oui, peut-être que je pourrais lui payer un truc à manger, sur le chemin du retour… Ouais, mais non en fait. Si j’investissais mon peu d’argent de poche pour lui acheter de la bouffe, ça disparaîtrait en un clin d’œil. On pourrait aussi se partager la note… Non, c’est peut-être mieux qu’on paye nos propres trucs. Ouais, je pense que c’est le mieux à faire.
Et en plus, il restait pas mal d’argent que Mr. Tateyama nous avait donné, pour manger.
On devrait le dépenser avant qu’il ne nous le reprenne.
Ma joue sur le bureau du prof, je tripotais ma manette en silence, par ennui, et j’attendis comme ça pendant un quart d’heure.
… Haruka n’était toujours pas de retour.
Même s’il était parti donner le prix au gars, il prenait vraiment beaucoup trop longtemps.
Mais où est-ce qu’il pouvait traîner…?
La sonnerie retentit… Les stands dorénavant fermés, chaque classe se devait de nettoyer, et partir avant qu’il ne soit cinq heures.
Bien sûr, on faisait partie de ces classes, mais tout faire en n'étant que deux allait prendre un bon moment.
“Oh non… Me dites pas qu’il essaie de sécher.”
Impossible, il ne ferait jamais un truc de ce genre. Je l’enverrais valser s’il me faisait un coup comme ça, et puis même, personne n’était aussi assidu que lui.
Mais du coup, ça me faisait vraiment bizarre, qu’il soit toujours pas revenu.
Alors que j’étais en train de considérer la possibilité qu’il traînait dans les environs, j’ai soudain eu un très mauvais pressentiment.
Et s’il avait fait un malaise en voulant se dépêcher?
Je me suis souvenue que la maladie d’Haruka était tellement alarmante que ça mettait en grave danger sa vie.
Mais vu son comportement et sa personnalité, il n’avait jamais trop parlé de ça, alors je ne m’étais jamais inquiétée.
Cependant, il est resté éveillé tard ces derniers jours pour travailler, m’avait en plus aidé à tenir le stand pendant toute la journée, et même après ça, il s’était précipité afin de me rejoindre.
Plus j’y pensais, plus j’avais peur, et mon cœur se mit à battre de plus en plus vite.
Je sautai du bureau, et fit tomber la chaise dans un bruit assourdissant.
Mais je me fichais de ça.
Haruka s’était peut-être évanoui quelque part, là.
Il était probablement en train de souffrir d’une façon atroce, sans que personne ne le voie.
Quand j’y ai pensé, j’ai eu un sentiment agonisant.
J’aurais dû y penser plus tôt. Haruka était une personne si faible.
Et même en sachant ça, je m’en étais pas du tout préoccupée, et à la place, je le faisais se surmener.
“Haruka !”
Arrivée devant la porte, je l’ouvris d’un grand coup…! Et alors que j’allais me ruer vers elle, en prenant mon élan, mon corps—percuta la personne qui se tenait devant moi.
“Ouaaaah !!”
“Aaaaaah !!”
En fonçant en plein dedans, je fus projetée loin dans la salle, et je tombai sur mon derrière. Tandis que je pleurais ma douleur à la hanche, je levai ma tête, et vis un garçon qui m’était très familier, effondré sur le sol du couloir, les yeux étourdis.
“H-Haruka !?”
“Aïe aïe aïe aïe aïe, fais attention….. Qu’est-ce qu’il se passe, Takane…? Pourquoi es-tu si pressée….?”
“Mais t’es con ou quoi…. ?! J-Je m’inquiétais…..”
Rassurée mais aussi effrayée qu’il ait eu mal en me rentrant dedans, je me levai, et je me dirigeai vers lui comme si j’allais l’étreindre.
Sauf que lorsque j’ai vu qu’Haruka avait de la sauce autour de sa bouche et plein de paquets de nourriture autour de lui, dispersés sur le sol à cause de notre bousculade, mes émotions bienveillantes sont vite devenues colériques.
“…..Qu’est-ce que tu fous, au juste?”
Tout en massant mes hanches qui me faisaient un mal de chien, je m’étais mise en face de lui, en lui demandant ça d’un air aberré.
“Hein? Ah, eh bien, vu que les stands fermaient, je pensais aller récupérer les restes avant qu’ils soient jetés à la poubelle ! Tu as vu tout ce qu’on a ?! On peut faire une petite fête ! C’est pas super ça!?”
… Mon agressivité allait éclater à tout moment.
Je sentais mes poings se serrer et mes joues chauffer. Ahh, j’avais été si bête, de m’être inquiétée ne serait-ce qu’une seconde pour ce mec.
“……… Takane? Tu… es fâchée ?”
Quand il posa cette question, j’envoyai mon poing frapper sa tronche.
Au même moment, une annonce était diffusée dans tout l’établissement, à propos du meilleur des stands, et apparemment c’était le nôtre. Mais à cause de mes cris et des sanglots de douleur d’Haruka, nous n’avons pas pu entendre l’annonce, et nous avons été au courant de notre mérite que quelques jours plus tard.
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Les yakitori sont des petites brochettes de viande recouverte d'une sauce sucrée. ↩︎
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Les yakisoba sont des nouilles sautées, accompagnées de viande et de légumes. ↩︎
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L'okonomiyaki est un genre de crêpe regroupant des ingrédients variés au choix, et se décline indéfiniement donc elle peut être salée, sucrée ou les deux. ↩︎
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Un pachinko est un croisement entre une machine à sous et un flipper. ↩︎